Le droit d’auteur des journalistes salariés
- 5 mars 2017
- Cabinet Dalila MADJID
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- La qualité de journaliste auteur et de journaliste salarié
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’un journaliste n’est pas nécessairement un auteur au sens de la propriété intellectuelle, mais le devient, lorsqu’il crée une oeuvre de l’esprit originale, c’est-à-dire, qui « porte l’empreinte de la personnalité de son auteur ».
Au sens de l’article L. 7111-3 du Code du travail : « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa ».
En ce qui concerne la présomption salariat du journaliste, selon L. 7112-1 du code du travail : « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. »
Ainsi, tout journaliste professionnel, bien que rémunéré à la pige par l’entreprise de presse pour laquelle il collabore, peut bénéficier du statut particulier reconnu aux journalistes professionnels salariés découlant de la convention collective nationale des journalistes et surtout des dispositions du code du travail qui ne déroge pas à ce statut (congés payés, 13e mois, indemnité de licenciement, assurance chômage, etc.).
L’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle prescrit un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, reconnu à l’auteur personne physique d’une oeuvre de l’esprit qui n’est pas remis en cause par l’existence d’un contrat.
Ce principe s’est, néanmoins, trouvé assorti de régimes de cessions spécifiques à chaque secteur professionnel, comme ce fut le cas des journalistes.
Ainsi, la loi du 12 juin 2009 dite loi HADOPI a instauré un principe de cession automatique des droits d’exploitation des oeuvres des journalistes à l’employeur.
Une telle loi a favorisé les entreprises de presse en leur instaurant un réel régime dérogatoire du droit d’auteur pour les journalistes.
Ladite loi a modifié la section du Code de la propriété intellectuelle (CPI) intitulée « droit d’exploitation des oeuvres des journalistes », qui englobe les articles L. 132-35 à L. 132-45 dudit code, qui a été ensuite modifiée par la loi n°2011-525 du 17 juin 2011 (modifiant les articles L. 132-36, L. 132- 38 et L. 132-39 du CPI), mais également par la loi n°2012-387 du 22 mars 2012 (modifiant les articles L. 132-42-1 et L. 132-44 du CPI) ainsi que par l’ordonnance n°2016-1823 du 22 décembre 2016.
Ainsi, au regard des textes susvisés, le salaire devient la contrepartie de l’oeuvre salariée dans le cadre du titre de presse pendant une période fixée par l’accord d’entreprise ou tout autre accord collectif.
L’exploitation hors le titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse, est soumise à l’accord exprès de l’auteur et donne lieu à rémunération sous forme de droit d’auteur.
La loi dite Hadopi ne distingue plus les supports de diffusion et permet aux entreprises de presse de multiplier les diffusions et reproduction sans se soucier d’autorisation individuelle ou collective. Toutefois, elle introduit « une notion de temporalité », à savoir que « les diffusions ne doivent pas être illimitées et obligent les parties, entreprises et journalistes à convenir d’un mode de rémunération par le biais de convention collective ».
Concernant le droit moral de l’auteur journaliste, et notamment du droit de recueil, les dispositions de l’article L. 121-8 du CPI visent l’article L. 132-35 du CPI :
» L’auteur seul a le droit de réunir ses articles et ses discours en recueil et de les publier ou d’en autoriser la publication sous cette forme.
Pour toutes les œuvres publiées dans un titre de presse au sens de l’article L. 132-35, l’auteur conserve, sauf stipulation contraire, le droit de faire reproduire et d’exploiter ses œuvres sous quelque forme que ce soit, sous réserve des droits cédés dans les conditions prévues à la section 6 du chapitre II du titre III du livre Ier.
Dans tous les cas, l’exercice par l’auteur de son droit suppose que cette reproduction ou cette exploitation ne soit pas de nature à faire concurrence à ce titre de presse ».
2- Les trois cercles d’exploitation des oeuvres des journalistes salariés
- 1er cercle d’exploitation : l’exploitation dans le titre de presse = le journaliste perçoit exclusivement un salaire
L’article L. 132-36 du CPI dispose :
« Par dérogation à l’article L. 131-1 et sous réserve des dispositions de l’article L. 121-8, la convention liant un journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l’élaboration d’un titre de presse, et l’employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées ».
Ce texte prévoit la cession automatique des droits d’exploitation du journaliste salarié à son employeur, organe de presse qui l’emploie (qui est à l’initiative de l’article écrit par le journaliste ainsi que ses déclinaisons) qui est de principe, et résulte de toute convention, quelque soit le support d’exploitation et quelque soit la nature de la publication. Cela concerne les droits d’exploitations de tous les journalistes, excepté les photographes pigistes.
La cession globale des oeuvres futures des journalistes est permise depuis la loi du 17 mai 2011 qui a modifié l’article L. 132-36 du CPI, dérogeant aux dispositions de l’article L. 131-1 du CPI.
Ainsi, selon l’article L. 132-37 du CPI :
« L’exploitation de l’œuvre du journaliste sur différents supports, dans le cadre du titre de presse défini à l’article L. 132-35 du présent code, a pour seule contrepartie le salaire, pendant une période fixée par un accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif, au sens des articles L. 2222-1 et suivants du code du travail.
Cette période est déterminée en prenant notamment en considération la périodicité du titre de presse et la nature de son contenu. »
Ainsi, l’éditeur de presse peut réexploiter les articles du journaliste sans son autorisation pendant une durée déterminée par un accord d’entreprise. L’entreprise a le droit de le diffuser sur n’importe quel support, en ligne, sur un site extérieur ou différent du titre à condition qu’il soit sous le contrôle du directeur de la publication et enfin tous les autres sites dans un espace identifié comme étant celui du titre de presse.
Le journaliste perçoit pendant la période dite de référence un salaire conformément aux dispositions de l’article L.7113-3 du Code du travail.
En revanche, toute exploitation au-delà de cette même période génère même automatiquement la rémunération complémentaire du journaliste.
- 2e cercle d’exploitation : l’exploitation dans un autre titre de la société ou du groupe s’il s’agit de la même famille cohérente de presse : le journaliste perçoit une rémunération complémentaire sous forme de droit d’auteur ou de salaire
L’exploitation des droits du journaliste au sein de la « même famille cohérente de presse » vise non seulement le groupe de presse, c’est-à-dire une société mère éditrice de plusieurs titres de presse, à savoir plusieurs journaux qui sont de nature différentes mais qui peuvent être liés par exemple par un accord d’entreprise.
Aux termes de l’article L. 132-38 du CPI :
« L’exploitation de l’œuvre dans le titre de presse, au-delà de la période prévue à l’article L. 132-37, est rémunérée, à titre de rémunération complémentaire sous forme de droits d’auteur ou de salaire, dans des conditions déterminées par l’accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif. »
En tout état de cause, la famille cohérente de presse requiert pour exister un accord collectif et une rémunération supplémentaire qui pourra payée en salaire ou sous forme de droits d’auteur, lorsque le délai prévu par l’hypothétique accord collectif visé par l’article L. 132-37 est dépassé. La différence entre les types de rémunération est d’ordre fiscal, pour le salaire, l’éditeur devra s’acquitter des cotisations patronales.
- 3e cercle d’exploitation : les exploitations extérieures : le journaliste perçoit une rémunération exclusivement sous forme de droit d’auteur
Il s’agit de la republication de l’article d’un journaliste en dehors du titre d’origine ou de la « famille cohérente de presse », c’est-à-dire dans un autre titre de presse indépendamment de la période de référence.
Les modalités et le montant de cette rémunération supplémentaire devront être prévues dans l’accord collectif. Elle est obligatoirement versée sous forme de droits d’auteur et doit faire l’objet d’un accord exprès préalable à titre individuel ou collectif.
Dans ce dernier cas, il conviendra de respecter les règles applicables en matière de propriété intellectuelle dans l’accord collectif qui devra prévoir la nature des droits cédés, leur étendue et le caractère proportionnel ou forfaitaire de la rémunération, à savoir le formalisme décrit à l’article L. 131-3 du CPI.
Pour le cas des photographes pigistes d’images fixes, les dispositions des articles L. 132-41 et L. 132-45 du CPI leur sont applicables. Et concernant les photographes sous contrat à durée indéterminée, les dispositions de la loi Hadopi et les lois ultérieures à celle-ci leur sont applicables à l’instar des journalistes salariés.
En somme, le journaliste salarié se voit soumis à un régime dérogatoire du droit d’auteur en sa défaveur, en ce qu’il n’est plus rémunéré, comme auparavant, dés la seconde publication de son article, peu importait le support sur lequel était publié l’article la deuxième fois. (Arrêt CA Paris Pôle 5 ch. 2 n°10/14169 du 16 nov. 2012 l’affaire Davodeau et SNJ c/ Dépêche du Midi).
- Dans le secteur audiovisuel
Aux termes de l’article L. 132-24 du CPI :
« Le contrat qui lie le producteur aux auteurs d’une oeuvre audiovisuelle, autres que l’auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte, sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l’auteur par les dispositions des articles L. 111-3, L. 121-4, L. 121-5, L. 122-1 à L. 122-7, L. 123-7, L. 131-2 à L. 131-7, L. 132-4 et L. 132-7, cession au profit du producteur des droits exclusifs d’exploitation de l’oeuvre audiovisuelle.
Le contrat de production audiovisuelle n’emporte pas cession au producteur des droits graphiques et théâtraux sur l’oeuvre.
Ce contrat prévoit la liste des éléments ayant servi à la réalisation de l’oeuvre qui sont conservés ainsi que les modalités de cette conservation. »
Autrement dit, les auteurs d’oeuvres audiovisuelles voient leurs droits cédés automatiquement et sans formalisme au producteur de l’oeuvre.
Il s’agit d’une présomption simple qui peut être combattue par la preuve contraire.
Dalila Madjid
Avocat au Barreau de Paris
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